Journal de l'économie

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Les pompiers peuvent-ils se défendre ? (suite)





Le 7 Septembre 2018, par Landry RICHARD

Mardi 04 septembre 2018, les pompiers de Paris interviennent dans le Val-de-Marne à Villeneuve-Saint-Georges pour un homme en « crise de démence ». Un classique pour les pompiers bien souvent confrontés à ces « malaises à domicile » où l’état psychologique de la victime nécessite que les secours la protègent d’elle-même.
Appelés peu après 18 heures dans un pavillon de la rue René-Cassin c’est une mère de famille qui avait prévenu le Samu, expliquant que son fils, en rupture de traitement, faisait une crise de démence.

Les pompiers ont été attaqués au couteau. Un pompier de 27 ans est mort et un autre de 34 ans a été grièvement blessé.

Lorsque les pompiers se présentent sur place, cela se passe normalement au début. Le déséquilibré serait sorti du pavillon avec eux avant d’expliquer qu’il avait oublié quelque chose. C’est alors que les deux militaires ont été attaqués par l’homme qui en avait profité pour se saisir de deux couteaux (et non d’une hache comme cela a été dit dans un premier temps).
Après les avoir poignardés à plusieurs reprises, le jeune homme de 31 ans a été maîtrisé. Les deux jeunes pompiers ont été transportés en hélicoptère à l’hôpital Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), dans un état d’urgence absolue. L’un d’eux a succombé à ses blessures dans la soirée.


Est-ce la mission des sapeurs-pompiers que de devoir intervenir sur une personne agitée aliénée à domicile ?

Les missions des SDIS[1] sont définies à l’article L 1424-2 du CGCT, tel qu’il ressort de la loi du 03 mai 1996.
« Les services d’incendie et de secours sont chargés de la prévention, de protection et de la lutte contre les incendies.
Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l’évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu’au secours d’urgence.
Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes :
  • La prévention et l’évaluation des risques de sécurité civile
  • La préparation des mesures de sauvegarde et l’organisation des moyens de secours
  • La protection des personnes, des biens et de l’environnement
  • Les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation. »
 
Entre secours à personne et trouble à l’ordre public, la première mission étant attribuée aux pompiers, l’autre aux policiers et gendarmes, la différence est parfois difficile à faire, surtout lorsque l’on prend en considération le fait que les pompiers interviennent en moyenne dans les 7 minutes alors qu’il en faudra 45 pour la police. Cela n’est nullement lié à de la mauvaise volonté de la part des policiers (ou des gendarmes) qui souffrent de ne pas avoir des effectifs leur permettant de répondre à toutes les sollicitations dans un temps « raisonnable ».
Alors lorsqu’un schizophrène en crise commence, dans un accès de violence à « péter les plombs », ce sont les pompiers qui interviennent.
 
Dans la grande majorité des cas, les choses se passent plutôt bien. Une équipe arrive sur les lieux, l’effet « uniforme » a généralement son petit effet. La vue des pompiers est souvent rassurante pour une personne en crise qui nous verra plutôt comme des « aidants ». Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, parfois c’est l’effet inverse qui se produit, la vue de l’uniforme ayant l’effet urticant du « je vais finir à l’hôpital » pour le malade. Par le dialogue et la négociation, avec un peu d’expérience, les agités se clament et finissent par accepter d’être emmené à l’hôpital. Si ce n’est pas le cas, et que la personne est calme, nous attendons alors l’intervention d’un médecin qui mettra en œuvre la procédure d’internement d’office s’il l’estime nécessaire en fonction de l’état de la victime.
Si la personne est violente, l’équipage demandera alors l’intervention de la police.
 
C’est là qu’est la difficulté
C’est là qu’est la difficulté, car, si l’individu est violent et qu’il risque de l’être envers autrui ou vers lui-même, cela devient un devoir pour le sapeur-pompier que de l’en empêcher. L’inaction des secours étant sanctionnée par le Code pénal dans l’article 223-6 sur le délit de « non-assistance à personne en danger », il faut donc « faire quelque chose » en attendant les forces concourantes. Et puis il y a les situations, plus rares, comme à Villeneuve-Saint-Georges où l’individu va s’en prendre aux pompiers, sournoisement.
 
Il y a quelques années avec mon équipage, nous sommes appelés pour une tentative de suicide par médicaments pour une jeune femme de 20 ans. À notre arrivée dans son appartement, elle se tient debout dans sa cuisine, regarde devant elle, dans le vide. Je m’annonce (c’est les pompiers !), je lui demande si elle va bien en m’approchant d’elle, elle me regarde. Arrivé à sa hauteur la jeune femme pivote avec vigueur vers moi, et lance son bras droit dans ma direction. Elle porte un couteau de cuisine qu’elle viendra planter dans ma veste de treillis. Un heureux réflexe de défense de ma part me fera m’en sortir avec une simple égratignure, mais nous sommes passés à côté d’un drame.
 
Même si ce genre de situation n’est pas courant, il arrive tout de même très régulièrement que les pompiers soient appelés pour traiter des situations de violence.
Là où un gendarme ou un policier aura été initié, formé à se méfier en permanence de ses attitudes et de sa posture, de sa position face à son « adversaire », le pompier est complètement étranger à ces règles simples de protection. Ces postures, ces positionnements physiques donnent aux intervenants l’avantage de l’anticipation. Comme le chat qui entre dans une pièce, avec l’instinct de spontanément réfléchir à ses points de fuite, l’intervenant prévoit mentalement les scénarios possibles d’une éventuelle dégradation de la situation. Cette anticipation permet la fuite, où la riposte, le pompier sait le faire sur une situation d’incendie, mais pas devant une victime de pathologie mentale seulement parce qu’il n’y a pas été formé.
 
Face à cette situation et dès le lendemain du drame, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers a porté trois principales revendications :
  • Optimiser le traitement de l’alerte, la détection et la prise en compte des risques de violence, par la mise en place de plateformes communes uniques de traitement des appels, avec des équipes spécifiquement formées, et le numéro unique européen d’urgence 112 — en effet, la dispersion actuelle des numéros et des plateformes complexifie le traitement des appels, générant transferts, perte de temps et perte potentielle de précieuses informations ;
  • Systématiser l’accompagnement des équipes sapeurs-pompiers par les forces de l’ordre pour certains types d’intervention ou lorsqu’un risque est pressenti lors de la réception de l’alerte ;
  • Former davantage les sapeurs-pompiers à faire face aux situations violentes : s’ils sont parfaitement formés aux techniques d’intervention pour le secours d’urgence aux personnes, dans toutes sortes de milieux, les sapeurs-pompiers ont besoin désormais d’une meilleure formation à la détection, l’appréhension et la réaction face aux situations de conflit et de violence, pour leur propre sécurité comme pour celle des autres.
 
C’est très bien, c’est même indispensable. Mais l’application de ces mesures est en partie utopiste et en partie insuffisante. Jamais les forces de l’ordre n’auront les moyens de systématiser l’accompagnement des pompiers sur certaines interventions. Déjà saturés par leurs interventions, c’est inapplicable. Optimiser le traitement de l’alerte et former est une merveilleuse idée, mais il faut aller plus loin.
 
[1] Services Départementaux d’Incendie et de Secours

De la mise en œuvre de moyens de force intermédiaire chez les pompiers

Depuis plusieurs années, les pompiers de Paris se sont équipés de bâtons télescopiques de défense, uniquement dans les casernes. Des cas d’agressions de pompiers en garde seul au standard avaient encouragé les pompiers à investir dans ce moyen peu onéreux. Étant militaires, il fut aisé de former les pompiers de Paris via des partenariats avec la gendarmerie. Cependant, jamais une arme n’est entrée dans un véhicule de secours à ce jour en France. Et si nous ne pouvions que nous en réjouir tant il est antinomique d’imaginer des services de secours armés, il faut bien reconnaître que la violence envers les secours ne fait qu’évoluer. Les agressions envers les services de secours sont de plus en plus fréquentes, et loin de vouloir ajouter de la violence à la violence, le droit légitime de se défendre doit pouvoir être pris aussi par ceux qui, au service des autres, s’engagent dans des missions de secours.
 
Au sein de forces de police et de gendarmerie, depuis que les armes de force intermédiaires de type taser, bâton télescopique, flashball etc. se sont développées, les cas d’usage des armes létales ont fortement diminué. Ces moyens permettent de se défendre, de se protéger, sans tuer.
 
Aussi l’idée de disposer un PIE (Pistolet à Impulsion Electrique) dans chaque véhicule de secours et de transport de victime des pompiers se pose légitimement. S’il faut bien évidemment être dans la mesure et éviter de tomber dans la réactivité émotionnelle, il y a longtemps que « ceux du terrain », « ceux qui montent dans les ambul » s’interrogent sur les moyens qui pourraient permettre de se protéger.
Récemment nous avons vu arriver les gilets pare-balles et les casques lourds suite à la mise en œuvre des procédures « tuerie de masse », le schéma de pensée des secouristes bien qu’ayant été surpris n’a pas été bouleversé. Se protéger d’une menace reste dans la culture du pompier.
La différence notoire avec le PIE est que c’est une arme, et que culturellement, mettre une arme entre les mains d’un pompier n’est pas « normal », même s’il ne faut pas oublier que les pompiers de Paris, de Marseille et des UISC sont des militaires et qu’ils sont formés à leur emploi.
 
Au-delà du nombre de situations complexes de violence envers les sapeurs-pompiers qui pourraient être réglées par l’emploi du PIE, c’est bien de protection qu’il faut parler. Aujourd’hui certains (syndicats) réclament que les pompiers n’interviennent plus sur des situations de personne agitée aliénée à domicile ou sur la voie publique, les services régaliens de sécurité répondent que c’est du domaine médical et que de prime abord, c’est le rôle des pompiers. Le problème est impossible à régler, il faut d’urgence répondre par la sécurité aux problèmes de sécurité. Si demain, un autre pompier meurt poignardé par un déséquilibré, que dira-t-on ? Qu’aurons-nous fait ?
 
Le droit ?
L’utilisation du PIE, quel qu’en soit le fondement juridique, est soumise, est soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité. Au titre de la riposte, l’emploi du PIE relève de la légitime défense des personnes et des biens (article 122-5 du Code pénal)
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».
Il est donc, selon cet article, légitime d’avoir recours au PIE à l’encontre d’une personne menaçant d’attenter à son intégrité physique par l’emploi d’une arme blanche.

Des dérives ?
Les officiers de sapeur-pompier que j’ai interrogé sur le sujet du PIE ne l’envisagent pas, ne prennent même pas l’idée au sérieux ou m’ont lancé un laconique « n’importe quoi… ». En insistant un peu, beaucoup ont fait preuve d’ouverture, mais ont conclu par : « Il y a aura des dérives, c’est impossible ». Pour ma part je crois que les pompiers valent mieux que ça et qu’ils sont largement à la hauteur de devenir encore plus acteurs de leur sécurité. Ce n’est pas d’une arme que l’on met dans les mains d’enfants qu’il s’agit, mais bien d’un moyen de défense efficace, non létale et simple d’emploi qui pourrait sauver des vies.
Lorsque j’ai été formé à l’emploi du PIE dans le cadre de ma formation d’officier de réserve de la gendarmerie, j’ai traditionnellement été taser par le formateur, pour « voir ce que ça fait ». Une douloureuse expérience qui fait réfléchir à deux fois ceux qui auraient eu le malheur de vouloir « jouer avec ».
 
Landry RICHARD, sapeur-pompier depuis plus de 20 ans, spécialiste NRBC, réserviste de la Gendarmerie Nationale est expert de l’optimisation des potentiels. Il accompagne des sportifs de haut-niveau et des dirigeants dans le développement des performances individuelles et collectives et dans la gestion des situations de crises.
Après être intervenu au Népal en 2015 et en Équateur en 2016 suite aux tremblements de terre, il intègre le MBA spécialisé Management de la Sécurité de la Gendarmerie Nationale pour se spécialiser dans les questions de la sûreté et le développement de la performance des équipes d’intervention spécialisées.

Il est l'auteur de "DANS LA TETE DE CEUX QUI NOUS PROTEGENT, Comment des hommes ordinaires font ensemble des choses extraordinaires  " chez VA Editions

 




1.Posté par gérarldine le 26/09/2018 12:30 | Alerter
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La prévention des risques des ambulanciers vis à vis des violences aussi pour leur propre sécurité dans un environnement hostile devrait également être prise en compte : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=570 …

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